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Chroniques
Marianna Abrahamyan, Philippe Hattat et Takuya Otaki
lauréats du Concours international de piano d’Orléans
Après la présentation de deux des lauréats de sa douzième édition, le Concours international de piano d’Orléans retrouve, pour le presque traditionnel concert de prestige qui en marque la clôture, les murs marqués par le temps de ce théâtre aux rouges étrusques d’autrefois. Trois heureux élus occupent ici la scène : Philippe Hattat, entendu mercredi dernier à l’Institut Culturel Italien [lire notre chronique du 9 mars 2016], Marianna Abrahamyan et Takuya Otaki, que nous découvrons.
Distingué par les mentions spéciales Ricardo Viñes et Alberto Ginastera, ainsi que par le prix de composition André Chevillion–Yvonne Bonnaud, le premier est élève de Jean-François Heisseret de Jean-Frédéric Neuburger au CNSMD de Paris où il aborda également l’improvisation à l’orgue et la composition. Après Messiaen et Ginastera l’autre jour, il donne cette fois le Klavierstück V de Karlheinz Stockhausen (1954) dans une version très précisément ciselée, attentive à la vie des résonnances comme aux contrastes dynamiques. Encore relèvera-t-on le travail par lequel l’interprète révèle l’architecture de l’œuvre. Pourquoi être allé chercher les Retratos y transcripciones de Luis de Pablo ? Ces trois pages écrites entre 1984 et 1992 n’ont, avouons-le, guère d’intérêt. Et à jouer un Tango, n’aurait-il pas été judicieux de faire écho au quatre-vingt dixième anniversaire de Betsy Jolas [lire nos chroniques du 28 février et du 12 mars 2016] avec l‘énigmatique minute de son Tango Si (signée de Chérence le 2 août 1984) ? Le phénomène est curieux : alors qu’elle quitte à peine celui de Pablo c’est Jolas qui occupe la mémoire auditive.
C’est au conservatoire d’Yerevan que s’est formée la jeune pianiste arménienne Marianna Abrahamyan. Elle approfondit ensuite son art auprès de Paul Badura-Skoda, entres autres grands maîtres. Le jury orléanais, présidé par Jean-François Heisser, lui décerne cette année les mentions spéciales Albert Roussel et Samson François, les prix des étudiants du conservatoire d’Orléans et de la SACEM, ainsi que la bourse de l’association Dutilleux-Joy qui induit résidence d’un mois en l’Abbaye royale de Fontevraud. Sous ses doigts, Variation Op.3 de Karol Szymanowski (1903) accuse un vague à l’âme superfétatoire cramponné à l’émotion, sans autre rigueur de pensée ni ciselure du jeu, sur-pédalisé. Sans doute le trac du grand soir explique-t-il ces maladresses.
Quant à Takuya Otaki – mentions spéciales Maurice Ohana et Olivier Greif, Premier Prix Blanche Sela – il est né au Japon où il étudia dans les classes de Yuzo Kakeya et Vadim Sakharov. Aujourd’hui, il poursuit son master en musique contemporaine à la Musikhochschule de Stuttgart. Dès son approche du Konzert Op.24 d’Anton von Webern (1934), on perçoit sa saisissante plongée dans la musique de notre temps ! Voilà un musicien accompli, tant rigoureux qu’inventif, par-delà l’approche assez arithmétique de Jean Deroyer à la tête de Court-circuit. Si Traced Overhead Op.15 de Thomas Adès (1996) n’est peut-être pas du plus audacieux piano, l’extrême définition des frappes et le relief incroyablement ouvragé de l’exécution d’Otaki rendent la pièce vraisemblablement plus intéressante, sans en pouvoir masquer la bavarde collecte d’effets. Surviennent quelques extraits de Makrokosmos de George Crumb (1973) – d’ailleurs avantageusement défendu par Toros Can, lauréat 1998 [lire notre critique du CD] –non sans avoir préalablement préparé (pupitre, cylindres, etc.) un piano bientôt magnifié par divers brouillages féconds, claques sur les cordes, voix éraillée et autres géniales incongruités, toutes parfaitement maîtrisées par un artiste étonnant dont on dira, sans aucun doute, qu’il est LE vainqueur de cette douzième édition du concours !
BB